Séparés en trois groupes, nous avons d'abord les amoureux "séparés par les hommes, réunis dans la mort", dans lequel nous retrouvons la légende celtique de Tristan et Iseult.

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"Chevalier accompli, Tristan est chargé par Marc, roi de Cornouailles, d’aller lui chercher sa fiancée, Yseult la Blonde, par-delà les mers. Sur le chemin du retour, les jeunes gens boivent par erreur un philtre d’amour que la mère d’Yseult avait préparé pour la nuit de noces. Le reste de leur vie va se passer à lutter contre leur amour-passion, à supporter d’inlassables tourments de conscience vis-à-vis du roi Marc ainsi que toute la souffrance de leur renoncement. Seule la mort peut finalement les réunir."
Puis, le drame éternel de Roméo et Juliette : "d’abord présentée dans plusieurs récits italiens, leur histoire est magnifiée par Shakespeare qui en fait un amour parfait, contrarié par les hommes et scellé par la mort. Ils sont les amoureux “ hors du monde ” qui ne peuvent plus en comprendre les contraintes et dont la passion sublime les faiblesses, efface le mal."

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Et Héloïse et Abélard. Bien qu'authentique, "leur histoire a pourtant rejoint celle des amants mythiques. Né vers 1079, professeur réputé de philosophie et de théologie, Abélard séduit et épouse en secret son élève Héloïse. Lorsqu’il l’apprend, l’oncle d’Héloïse fait émasculer Abélard et envoie sa nièce dans un couvent. Si leur passion est connue, c’est grâce aux milliers de lettres qu’Héloïse va continuer à échanger avec Abélard jusqu’à sa mort, une correspondance remarquable à la fois par l’amour qu’elle ne cesse de lui porter et par l’élévation spirituelle dont cette religieuse devenue abbesse saura faire preuve."

Dans un deuxième groupe nous avons les "séparés par la mort", symbolisés par le mythe antique d’Orphée et Eurydice.

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"Un amour d’abord partagé et heureux, puisque Orphée, joueur de cithare et chanteur talentueux, avait épousé celle qu’il aimait, la nymphe Eurydice. Mais la morsure d’un serpent la fit mourir. Inconsolable, Orphée parvint à émouvoir les dieux infernaux par ses chants. Il obtint d’eux l’autorisation d’aller chercher Eurydice au royaume des morts, à la condition toutefois de ne pas se retourner pour la regarder avant la sortie à l’air libre. Or, Orphée ne sait pas tenir sa promesse et rester aussi longtemps sans revoir le visage de son aimée : il se retourne trop tôt et la perd à jamais."

Et enfin, "l'amour heureux" personnifié par Dante et Béatrice.
"Dante a magnifié leur amour (qui date de l’enfance et les mène jusqu’à la fin de leur vie) à travers ses œuvres. Dans La Divine Comédie, la mort ne les sépare pas : Béatrice est la clé qui lui ouvre la porte de chaque monde : enfer, purgatoire, pour le mener jusqu’à l’entrée du Paradis. Elle est la lumière, la beauté qui lui permet d’atteindre Dieu et d’aller au-delà de la mort."

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Ou bien encore par Philémon et Baucis, "couple issue de la mytholie grecque et latine, ils forment le couple idéal, celui qui a vécu de l’adolescence à la vieillesse sans la moindre discorde. Ils hébergent un soir deux inconnus - en fait Jupiter et Mercure, qui n’ont pu trouver refuge ailleurs. Touchés par l’hospitalité généreuse de ces deux vieillards, les dieux transforment leur masure en palais et disent qu’ils peuvent aussi exaucer leur vœu le plus cher. Philémon et Baucis affirment alors qu’ils ne veulent rien d’autre que vieillir ensemble et mourir au même moment, pour ne jamais rester l’un sans l’autre. Ils seront transformés en arbre à la fin de leur vie, qui demeure le symbole de l’amour conjugal."

Vous aurez sans doute noté le point commun entre toutes ces histoires : l'Amour a quelque chose de divin. C'est un sentiment qui ne trouve son aboutissment absolu que dans l'élévation spirituelle ou la quête d'éternité.
En d'autres termes, vouloir aimer c'est partir à la recherche de Dieu.

Pour conclure, je me permettrais de citer cette chanson de Louis Aragon, non seulement parce qu'elle est magnifique, mais aussi parce qu'elle rappelle que nous ne sommes et ne serons jamais des dieux, qu'il est donc vain de rechercher l'Amour parfait.
Cette chanson peut paraître à la première lecture désespérément triste et mélancolique, mais relisez-la, plusieurs fois, attentivement. Il n'y a guère de déclaration d'amour aussi poignante, aussi touchante. Car rappellez-vous : nous ne sommes que de simples mortels, avec les défauts et les faiblesses que nous devons assumer. Aimons à notre niveau, ne tentons pas d'égaler ce qui nous ait de toute façon inaccessible : l'Amour des dieux.

Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n'y a pas d'amour heureux

Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
A quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains
Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes
Il n'y a pas d'amour heureux

Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi les mots que j'ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent
Il n'y a pas d'amour heureux

Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare
Il n'y a pas d'amour heureux

Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l'amour de la patrie
Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs
Il n'y a pas d'amour heureux
Mais c'est notre amour à tous les deux

Louis Aragon (La Diane Française, Seghers 1946)